L’ÉPÉE, UN VÉRITABLE SYMBOLE

Chevalier templier du XIIe siècle. Temple de Paris - Illustration de Wayne Reynolds - Osprey Publishing
Chevalier templier du XIIe siècle avec lance et épée. Illustration de Wayne Reynolds - Osprey Publishing

Seconde arme du chevalier après la lance, l'épée occupe une place prédominante dans l'armement individuel, pour la multiplicité de ses fonctions, mais aussi en raison des nombreux usages symboliques qui lui confèrent un statut particulier. L'épée, qui outrepasse amplement son seul caractère martial, est un objet polyvalent et polysémique.

 

C'est cependant le combat qui l'a engendrée, pour une utilisation au corps à corps, où les coups de taille ou d'estoc sont privilégiés en fonction de plusieurs critères : les capacités mécaniques de l'arme dépendent des différentes technologies métallurgiques, des techniques de combat employées et de l'armement défensif opposable. Ainsi, les premières épées en alliages cuivreux étaient-elles adaptées à un usage plus limité que les épées de la fin du Moyen Âge. Cependant, la vision progressiste selon laquelle l'épée serait un objet inscrit dans un processus d'amélioration constant n'est que partiellement pertinente.

 

L'épée considérée comme un objet technologique est nécessairement parfaite, puisque la vie de son porteur en dépend. Mais une épée de viking, à pointe arrondie et qui privilégie les coups de taille, n'est pas inférieure ni moins aboutie techniquement qu'une épée de la fin du XV siècle. En effet, le contexte d'utilisation est déterminant dans la qualité de l'objet. Ainsi le chevalier Zifar fait-il état avec dédain de ceux qui « se font gloire de frapper d'estoc », car seuls les coups de taille sont honorables. Il n'est pas nécessaire qu'une épée, à la fin du XIII siècle, soit pointue et cela ne l'en rend pas moins parfaite.  

Charge lourde de templiers. Temple de Paris - Illustration de Wayne Reynolds - Osprey Publishing.
Charge lourde de templiers. Illustration de Wayne Reynolds - Osprey Publishing.

Le combat

 

L'efficacité de l'épée répond à son usage premier, le combat, quel que soit le contexte dans lequel il se déroule. La guerre semble avoir été l'usage originel de l'épée, du moins est-ce celui qu'une bonne part de l'historiographie et de l'imaginaire collectif a consacré. Pourtant l'épée n'arrive qu'en seconde position parmi les armes de guerre. Les armes d'hast et  les armes de trait sont privilégiées puisqu'elles évitent une trop grande proximité avec l'ennemi. La lance est la première arme du chevalier car elle est plus appropriée à un usage cavalier que l'épée. Cette dernière, cependant, mieux adaptée au corps à corps, demeure irremplaçable. Olivier de Clisson acquit de l'ennemi anglais le surnom de « boucher de Clisson »« parce que c'étoit un capitaine qui faisoit un étrange carnage quand il étoit aux mains dans une mêlée »(1). Froissart décrit dans ses Chroniques un affrontement entre chrétiens et sarrasins : ces derniers « sagement trayoient et lançoient », prenant soin de ne point s'approcher, « car oncques de près, pour assembler à la main de glaive ou d'épée, ne se joignirent »(2). C'est donc bien une volonté affirmée, et remarquable, que de vouloir éviter le corps à corps à l'épée dans certaines tactiques militaires, au profit des actions réalisées aux armes de trait, ou éventuellement à la lance propulsée.

 

Au contraire de la guerre, toutes les autres situations d'affrontement privilégient l'épée, notamment en raison du caractère individuel du combat, qu'il s'agisse d'une situation voulue et/ou préparée (duel judiciaire, joute) ou bien subie et imprévue (querelle), mettant en scène des protagonistes civils. L'omniprésence de l'épée dans la vie quotidienne de la société civile apparaît dans l'iconographie et les sources manuscrites.

Le manuscrit 1.33 de Leeds ou les traités de la tradition germanique enseignent un type d'escrime à l'épée et à la bocle. Ce petit bouclier métallique rond, aisément transportable sur soi, est une arme à la fois défensive et offensive, car il permet également de frapper l'adversaire. Associé à une épée, il constitue une panoplie d'autodéfense efficace en toutes circonstances, y compris lors d'une querelle impromptue.

De nombreuses sources (récits de voyage, lettres de rémission) font état de rixes, à l'issue généralement fatale, pour des motifs parfois futiles (insultes), dans lesquels les différends se soldent le plus souvent

à l'épée.

 

Ces affrontements peuvent parfois être collectifs, et touchent toutes les strates de la société, contrairement à l'idée reçue du statut social protecteur. Ainsi Fiore de Liberi apprend-il à son prestigieux élève Nicolo d'Este, marquis de Ferrare, comment affronter trois hommes à la suite. De même, des maîtres d'armes germaniques (André le Juif, Jost von der Nyssen, Nicolas le Prussien, repris ensuite par Johannes Liechtenauer) enseignent la technique de la « porte de fer », qui « est clairement utile si tu te trouves assailli par quatre ou six paysans audacieux ». Cependant, ces techniques sont des recours ultimes, car

il n'y a « rien de déshonorant à fuir devant quatre ou six ». Quel que soit le degré de maîtrise des techniques d'escrime, l'épée demeure la meilleure garantie de survie qu'un homme, de n'importe quelle condition sociale, puisse posséder tant que cela lui est permis.

L'épée est un objet bien plus complexe qu'il n'y paraît.

 

Son apparence comme son usage varient au cours des deux siècles de l'histoire des templiers. Les deux épées présentées illustrent cette évolution.

 

L'épée n°1 frappe par sa finesse. L'important pommeau en forme de disque contribue à son équilibre. La mince poignée en fer était recouverte de cuir ou de corde pour assurer une meilleure prise. L'étroite gorge qui court le long de la lame permet d'alléger l'arme sans réduire sa solidité. Elle présente une série de sept « » damasquinés en argent, qui peuvent correspondre à l'initiale répétée d'un mot ou d'un nom comme à un décor sans signification. Au temps des croisades, les inscriptions sur les lames semblent courantes.

 

Les épées de ce type, fines et tranchantes, à la poignée courte, ne pouvaient être maniées que d'une seule main. Elles ne semblent n'avoir été utilisées qu'au cours du XIIe siècle et laissent place à un type d'arme illustrée par l'épée n°2. Celle-ci se caractérise par une lame plus large et surtout par une poignée plus longue, permettant de l'utiliser à une ou deux mains, ce qui lui vaut son appellation d'épée « à une main et demie ».

 

Les deux épées considérées sont utilisées aussi bien à pied qu'à cheval. Elles servent à frapper, de taille et non d'estoc, mais aussi à parer les coups de l'adversaire. L'épée est d'abord une arme de mêlée, utilisée pour le corps à corps. Elle peut également être utilisée dans une charge. Les épées présentées pourraient se prêter à un tel usage, notamment la n°2. Quoique légèrement plus lourde, son centre de gravité est bien plus proche de la garde, ce qui la rend plus maniable. Sa large lame lui donne par ailleurs une plus grande force d'impact.

 

Au cours du XIe siècle, une nouvelle méthode de combat a été développée pour la cavalerie lourde, la charge avec la lance maintenue à l'horizontale. Cette technique permet au combattant de tirer le meilleur parti de la vitesse et de la puissance de sa monture. La tactique des croisés consistait à lancer une charge massive de l'ensemble de la cavalerie lourde, de manière coordonnée, au moment crucial de la bataille. Elle leur a souvent permis de vaincre des armées supérieures en nombre. La lance est donc l'arme de prédilection du chevalier. Mais les lances se brisent rapidement et ne sont d'aucune utilité dans une mêlée. Le chevalier recourt donc régulièrement à l'épée, laquelle est aussi utilisée par les assaillants comme par les défenseurs lorsqu'une forteresse est prise d'assaut. Les templiers, qui ont, comme les hospitaliers, la garde de plusieurs forteresses en Terre sainte, sont régulièrement confronté à de telles situations.

N°1. Épée à inscription. Temple de Paris

N°1. Épée à inscription

Europe du Nord-Ouest, XIIe – XIIIe siècle

Alliage ferreux, argent

L : 96,5 cm ; l : 14,3 cm

Saint-Omer, musée de l'hôtel Sandelin, inv. 6764

N°2. Épée type XIII. Temple de Paris

N°2. Épée type XIII

Europe de l'Ouest, XIIe – XIIIe siècle

Alliage ferreux, argent

L : 95,2 cm ; l : 16,5 cm

Saint-Omer, musée de l'hôtel Sandelin, inv. 3131

Matrice à estamper - combat de chevaliers. Temple de Paris
Matrice à estamper : combat de chevaliers. 1re moitié du XIIIe siècle, Paris, musée de Cluny. Le sujet représenté peut être une scène de guerre comme de tournoi.

La joute, le tournoi et le duel judiciaire, le combat organisé

 

La joute, le tournoi et le duel judiciaire sont le miroir d'une vie civile où les occasions d'affrontement surgissent de manière inopinée. Ils ne diffèrent que par la codification régissant l'armement ou le déroulement du combat, car l'enjeu reste identique : sauver sa vie, ou éviter la blessure dans le cas de la joute, donne au combat médiéval une intensité incomparable.

 

Sous le regard des spectateurs, le combat se déroule en champ clos. Il est fulgurant, loin de l'image de l'affrontement interminable que la littérature, dès le Moyen Âge, puis le cinéma ont gravé dans l'imaginaire collectif. Cette opposition romancée, sans victoire par coup décisif mais par épuisement de l'adversaire, glorifie le personnage lis en scène. Le héros a tout intérêt à trouver un adversaire à sa mesure pour justifier son propre statut, et l'interminable combat « de prime jusques à vespres »(3), en s'accordant parfois même un repos intermédiaire, en est un des meilleurs artifices descriptifs. La réalité du combat est tout autre. Point de lames qui s'entrechoquent alternativement à gauche et à droite, mais une technique prompte et efficace, où le premier coup doit être décisif, profitant des faiblesses de la défense de l'autre. C'est bien cela qu'enseigne Johannes Liechtenauer : « Ne frappe pas sur l'épée mais attends les ouvertures ».

Épée médiale - Temple de Paris

Une belle épée typique des années 1100, de l'époque des croisades, avec sa gouttière centrale devenue plus étroite et de longs quillons. Pièce de fouille, en fer, mesurant 99,5 cm de long. Sa lame présente un décor de deux annelets ; une épée à décor similaire se trouve au Münchener Nationalmuseum sous le n° 210.

Notes :

(1) Anciennes Mémoires de DuGuesclin…, trad. Le Febvre, 1824, p 73.

(2)  Jean Froissart, XIVe siècle, A.Derez éd., Paris, 1835, livre IV, chap. 15, p. 85

(3) Eilert Löseth, Le Roman de Tristan, 1891, p 191

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